Byblos : les révélations sur la cité millénaire qui a façonné notre histoire

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Introduction : La ville qui précède l’histoire

Quand on évoque les grandes cités de l’Antiquité, les noms de Rome, d’Athènes ou de Babylone viennent immédiatement à l’esprit. Ces métropoles, symboles de civilisations puissantes, ont laissé une empreinte indélébile dans notre imaginaire collectif. Pourtant, une autre ville, bien plus ancienne et tout aussi fondamentale, reste souvent dans l’ombre : Byblos, sur la côte du Liban actuel.

Avec une histoire d’occupation humaine ininterrompue s’étalant sur plus de 9 000 ans, Byblos n’est pas simplement une ancienne ville ; elle est un témoin vivant des premières heures de l’urbanisation et du commerce mondial. Elle a vu naître et disparaître des empires, a servi de pont entre l’Orient et l’Occident, et a joué un rôle déterminant dans l’émergence des grandes puissances du monde antique. Quels secrets une cité qui a traversé neuf millénaires peut-elle encore nous révéler aujourd’hui ? Les récentes découvertes archéologiques lèvent le voile sur des aspects méconnus et surprenants de son passé extraordinaire.

Sans Byblos, pas de Pyramides

Le port libanais, fournisseur stratégique de l’Égypte pharaonique

Cette affirmation peut paraître audacieuse, mais elle repose sur une réalité économique incontournable de l’Antiquité. L’Égypte des pharaons, malgré sa puissance, manquait d’une ressource essentielle : le bois de qualité. Byblos, grâce à sa proximité avec les vastes forêts de cèdres du Mont-Liban, est devenue dès le IIIe millénaire avant J.-C. le principal fournisseur de l’Empire du Nil.

Ce bois de cèdre n’était pas un simple matériau de construction. Il était indispensable à la civilisation égyptienne : pour bâtir les navires de commerce et de guerre, pour confectionner les barques sacrées qui transportaient les dieux et les pharaons dans l’au-delà, pour ériger les charpentes des temples et des palais, et même pour les rituels de momification, grâce à l’huile et à la résine qu’on en extrayait. Comme l’a souligné avec force Jack Lang, président de l’Institut du monde arabe :

« Sans Byblos, sans le bois de cèdre transporté vers l’Égypte, les pyramides n’auraient pu être construites. Byblos, les pyramides, même combat. »

Cette relation commerciale privilégiée redéfinit notre vision des économies anciennes. Elle recadre les pyramides non plus comme une simple merveille d’ingénierie égyptienne, mais comme un monument à la logistique internationale et à la puissance économique invisible d’une cité-État étrangère. Les cèdres de Byblos sont la pierre angulaire oubliée du calcaire de Gizeh.

Une découverte majeure faite en enquêtant sur la mauvaise porte

Quand une erreur d’interprétation mène à un trésor archéologique

En 2018, une équipe d’archéologues du programme Byblos et la mer se penche sur un détail des anciens remparts de la cité. Leur objectif est de réexaminer un passage identifié des décennies plus tôt par l’archéologue Maurice Dunand comme une simple « poterne », une petite porte discrète à usage militaire.

Cependant, en étudiant la structure, les chercheurs sont frappés par une intuition : et si cette ouverture était bien plus importante qu’on ne le pensait ? Après une étude approfondie sur le terrain, leur hypothèse est confirmée au-delà de toute espérance. La prétendue poterne se révèle être en réalité une porte urbaine fortifiée monumentale, l’une des entrées principales de l’acropole sacrée durant l’Âge du Bronze. C’était un lieu de passage majeur, un espace public central dans la vie de la cité antique. Mais la surprise ne s’arrêtait pas là.

Les archéologues ont mis au jour une « cité des morts » souterraine et à plusieurs niveaux, unique au monde

Une nécropole à plusieurs étages, un chef-d’œuvre d’ingénierie funéraire

Juste derrière la porte monumentale nouvellement identifiée, les chercheurs ont fait une découverte encore plus spectaculaire : une nécropole datant de l’Âge du Bronze moyen (environ 2000-1750 av. J.-C.), miraculeusement préservée. Ce qui rend cette trouvaille exceptionnelle repose sur deux points fondamentaux.

  1. Des tombeaux parfaitement intacts : Huit hypogées (tombeaux souterrains creusés dans la roche) ont été découverts intacts, un événement d’une rareté inestimable en archéologie. Ils contenaient encore les ossements des défunts, ainsi que de nombreuses offrandes funéraires comme des poteries et des bijoux.
  2. Une structure souterraine à plusieurs niveaux : Fait encore plus stupéfiant, ces tombeaux ne sont pas simplement alignés, mais agencés sur plusieurs étages souterrains. Un même mur peut séparer deux tombes, et le plafond de l’une peut servir de sol à celle du dessus. Cette architecture funéraire complexe, avec des hypogées superposés, est si inhabituelle que les archéologues affirment qu’il n’existe aucun parallèle connu, pas même en Égypte. Le plus grand de ces tombeaux, l’Hypogée V, s’étend sur une superficie de 65 mètres carrés, une dimension remarquable pour l’époque.

Cette nécropole à plusieurs étages est bien plus qu’une prouesse d’ingénierie ; c’est une déclaration d’ambition sur l’au-delà, gravée dans la terre même. Elle suggère une élite si soucieuse de son statut qu’elle a bâti à la verticale jusque dans le monde souterrain, créant un reflet de la cité animée sous la surface. C’est le témoignage d’une société qui planifiait pour l’éternité avec la même rigueur qu’elle appliquait à son commerce maritime.

Les rois de Byblos se rêvaient en pharaons

Plus qu’un partenaire commercial, un admirateur culturel

Les liens entre Byblos et l’Égypte dépassaient largement le cadre du commerce. Une profonde influence culturelle égyptienne imprégnait la vie religieuse et politique de la cité phénicienne, à tel point que ses dirigeants ont adopté des coutumes normalement réservées à la royauté égyptienne.

  • Syncrétisme divin : La grande déesse locale de Byblos, Baalat Gubal (« la Dame de Byblos »), fut progressivement assimilée à la déesse égyptienne Hathor, signe d’une fusion des panthéons.
  • Le cartouche royal : Les rois de Byblos, comme Abi-Shemou, ont poussé l’imitation jusqu’à inscrire leurs noms sémitiques à l’intérieur d’un cartouche royal. Cet acte était d’une audace incroyable, car le cartouche était un privilège exclusif des pharaons, symbolisant leur pouvoir divin.
  • Imitation artistique : Sur le plan matériel, de nombreuses poteries fabriquées localement à Byblos étaient des reproductions directes de formes égyptiennes, montrant une volonté claire d’adopter l’esthétique du puissant voisin.

Cette appropriation culturelle est révélatrice du statut unique de Byblos. Elle n’était pas une province conquise, mais un partenaire politique indépendant et prospère qui, tout en conservant son identité, admirait et émulait la prestigieuse civilisation pharaonique.

La quête franco-libanaise des secrets de Byblos dure depuis plus de 160 ans

Une longue histoire de coopération scientifique

Les découvertes récentes s’inscrivent dans une très longue tradition de recherche archéologique menée conjointement par la France et le Liban. Cette collaboration scientifique a débuté il y a plus d’un siècle et demi et a permis de redonner à Byblos sa place dans l’histoire.

Tout commence en 1860, avec la mission scientifique d’Ernest Renan. Cette première expédition française marque la « vraie renaissance de Byblos » et met en lumière l’importance stratégique du site. Au XXe siècle, cette relation se poursuit avec des figures majeures comme Maurice Dunand, qui dirigea les fouilles pendant cinquante ans.

Après une pause de près d’un demi-siècle, cette collaboration historique a été ravivée. Depuis 2019, le musée du Louvre et la Direction Générale des Antiquités (DGA) du Liban ont repris ensemble les fouilles sur le site. Ce nouveau programme de recherche a permis les découvertes exceptionnelles de la porte monumentale et de la nécropole à plusieurs niveaux. Les dernières révélations ne sont donc pas le fruit du hasard, mais l’aboutissement d’une longue et fructueuse histoire de coopération internationale.

Conclusion : Une ville de connexion éternelle

Byblos est bien plus qu’un simple amoncellement de ruines antiques. Chaque strate de terre, chaque pierre taillée raconte une histoire d’échange, de résilience et de connexion mondiale. De fournisseur de bois pour les pyramides à carrefour des civilisations méditerranéennes, cette cité a toujours été un lieu où les cultures se rencontraient, s’influençaient et créaient ensemble les fondations de notre monde.

Les récentes découvertes prouvent que son histoire est loin d’avoir livré tous ses secrets. Alors que Byblos a autrefois fourni le bois nécessaire à la construction des merveilles antiques, quels secrets fondamentaux pour la compréhension de notre monde interconnecté se cachent encore sous ses rues modernes ?